27.10.05

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L’Étranger (II)

Lorsque j’entrai dans la salle, encadré par mes deux acolytes, le silence se fit. Les jurés étaient déjà là, le visage impassible. Ils avaient revêtu leur plus beaux habits du dimanche et étaient assis sur des chaises recouvertes de velours. Ils paraissaient m‘étudier attentivement. Une des trois femmes, en tailleur rouge vif, soutint un long moment mon regard, par défi, puis elle baissa les yeux. Elle devait se sentir plus coupable que moi.

Les policiers me menèrent jusqu’au box des accusés. Le sympa, celui qui m’avait offert une clope, commença à m’enlever les menottes après m’avoir fait un discret clin d‘œil. L’autre garda sa tête de con boudeur, debout derrière moi. Il y avait là également des journalistes qui gribouillaient comme des dingues sur de petits carnets à spirale, les flashes semblaient venir de tout côté. Deux ou trois caméras filmaient la scène pour montrer au monde ma tronche au journal de 20 h. Les dessinateurs commençaient déjà à me croquer. Il me vint à l’esprit que si les appareils photo et caméras étaient admis pendant les débats, ces gars-là perdraient leur boulot. Cela me fit sourire. Une espèce de rictus qui n’a certainement pas dû échapper à la conne en rouge.

Je jetai un œil sur les gens dans la salle. Beaucoup de têtes que je ne reconnaissais pas. Parmi elles, je reconnus un visage, celui de la vendeuse qui avait emballé mon blog dans le magasin. Elle essaya un sourire, puis se rendit compte de l’absurdité de la chose, et préféra regarder ailleurs. Comme s’il y avait quelque chose à regarder ailleurs.

Après de longues minutes, le procès s’ouvrit. Je m’attendais à quelque chose de plus spectaculaire. Un générique, de la musique ou je ne sais quoi d’autres qui aurait donné à l‘événement son importance. Au lieu de cela, des croutons se parlaient entre eux dans une langue étrange. Les jurés promirent quelque chose dont je ne parviens pas à me souvenir. On lut l’ordonnance de mise en accusation : un monologue interminable pour expliquer que j’avais défenestré un blog, en des termes plus ou moins techniques. De ce charabia ressortit un mot obscène, odieux. Bloguicide.

C’est alors que toute l’ampleur de ce que j’avais fait m’apparut clairement. Juste à la lecture de ce mot : bloguicide. J’avais ôté la vie à un blog. Les larmes me vinrent aux yeux. Mon avocat, avec sa longue trogne d’enfoiré de première, me jeta un regard furtif, et soupira longuement. Pour un peu, je lui aurais craché à la gueule. ¶

 
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